Mieux vaut une mise en œuvre tardive mais efficace que rapide et sans effet

Illustration by Vincent Di Silvestro for SSA

L’adoption de la Directive européenne 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (la Directive) a été une grande victoire pour les autrices et les auteurs après trois années de négociations intenses et une forte opposition de la part des plateformes de partage de contenus en ligne comme YouTube.

La Directive représente une avancée majeure dans la législation de l’Union européenne (UE). Elle prévoit un principe général de rémunération appropriée et proportionnelle permettant aux autrices et aux auteurs de bénéficier du succès économique de leurs œuvres (Article 18), des dispositions renforçant leur droit à l’information sur l’exploitation de leurs œuvres (Article 19), augmentant leur pouvoir de négociation (Articles 20 et 21) et établissant un droit de révocation (Article 22). Elle précise également que les plateformes de partage de contenus en ligne effectuent un acte de communication au public lorsqu’elles permettent au public d’accéder aux œuvres protégées et de les télécharger, et doivent donc obtenir une autorisation des titulaires de droits (Article 17).

L’Article 18 revêt une importance particulière pour les autrices et les auteurs audiovisuels. Il établit dans la législation de l’UE le droit à une rémunération appropriée et proportionnelle pour les autrices/auteurs et les artistes-interprètes lors de l’octroi de licences ou de la cession de leurs droits exclusifs pour l’exploitation de leurs œuvres. Bien qu’il s’agisse d’une disposition contraignante, les États membres sont libres de mettre en œuvre ce principe par le biais de différents mécanismes existants ou nouvellement introduits. Par conséquent, la mise en œuvre peut varier considérablement selon les pays de l’UE.

Début janvier 2023, 21 États membres[1] avaient transposé la Directive dans leur législation (le délai de transposition expirait le 7 juin 2021). Alors que la majorité a mis en œuvre l’Article 18 sans aucun mécanisme efficace pour assurer la rémunération continue des autrices et des auteurs pour l’exploitation de leurs œuvres sur les différents médias, certains États membres ont introduit dans leurs lois, tardivement mais efficacement, des droits à rémunération pour les autrices et les auteurs, en gestion collective.

Quelques exemples de pays ayant assuré une mise en œuvre efficace :

La Lituanie a conçu un système hybride combinant les deux modes de gestion collective, volontaire et obligatoire, pour la retransmission, l’injection directe, les services complémentaires des distributeurs de télévision et la copie privée. La loi adoptée précise qu’une fois les droits transférés à une société de gestion collective, le droit des autrices et des auteurs à percevoir une rémunération pour l’utilisation de ces droits est inaliénable et incessible. Ainsi, les contrats par lesquels l’autrice ou l’auteur renonce à cette rémunération sont nuls. La loi ajoute que le montant des droits d’auteur à percevoir doit être approprié et proportionnel à chaque utilisation de l’œuvre audiovisuelle.

La Belgique a introduit un droit incessible et inaliénable à rémunération pour les autrices/auteurs et artistes-interprètes, assorti d’une gestion collective obligatoire, pour l’exploitation à la demande de leurs œuvres. En outre, la Loi du 16 juin 2022 prévoit un droit incessible et inaliénable à rémunération pour les autrices/auteurs et les artistes-interprètes en cas de communication au public par les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, également en gestion collective obligatoire.

Le 11 octobre 2022, la Slovénie a transposé la Directive en modifiant à la fois sa Loi sur le droit d’auteur et sa Loi sur la gestion collective, garantissant ainsi dans son système juridique des droits à rémunération pour les autrices et les auteurs audiovisuels. La mise en œuvre a donné lieu à l’introduction de nombreux droits à rémunération, gérés obligatoirement par les sociétés de gestion collective. La Loi sur le droit d’auteur accorde désormais aux co-autrices et co-auteurs de l’œuvre audiovisuelle des droits inaliénables à rémunération pour la location, la retransmission, la communication au public par les services de partage de contenus en ligne, la communication au public par les services de vidéo à la demande et les autres utilisations impliquant le droit de mise à disposition. Tous ces nouveaux droits à rémunération découlant de la communication au public doivent être gérés obligatoirement par les sociétés de gestion collective.

« Ces nouvelles lois s’ajoutent aux droits à rémunération existants en Europe pour les autrices et les auteurs audiovisuels avant l’adoption de la Directive. »

L’Allemagne été le premier pays à avoir introduit un droit à rémunération pour les autrices et les auteurs pour l’exploitation de leurs œuvres par des plateformes de partage de contenus en ligne dans sa Loi du 31 mai 2021 sur la responsabilité en matière de droit d’auteur de ces dernières. La rémunération est due par le fournisseur de services pour la communication au public de l’œuvre contractuellement autorisée, même si l’autrice ou l’auteur a cédé à un tiers (par exemple, une maison de production) le droit de communication au public. L’autrice ou l’auteur ne peut renoncer à ce droit à une rémunération directe et ne peut le céder à l’avance qu’à une société de gestion collective. Toutefois, cela ne s’applique pas aux plateformes de vidéo à la demande. Les autres dispositions générales sur la rémunération des autrices et des auteurs n’ont pas été modifiées.

Ces nouvelles lois s’ajoutent aux droits à rémunération existants en Europe pour les autrices et les auteurs audiovisuels avant l’adoption de la Directive, comme en Espagne ou en Italie où les autrices et auteurs des œuvres audiovisuelles avaient déjà la garantie d’une rémunération continue par le biais de leur société de gestion collective pour presque tous les modes d’exploitation.

La France avait déjà un droit à une rémunération proportionnelle pour les autrices et les auteurs dans sa législation, appliquée par le biais d’accords de gestion collective volontaires entre les sociétés de gestion collective et les entités utilisatrices. La mise en œuvre de la Directive a toutefois précisé que cette disposition ne pouvait pas être contournée par contrat.

En Pologne, la mise en œuvre de la Directive devrait améliorer davantage le système de rémunération des autrices et des auteurs d’œuvres audiovisuelles, en particulier pour les exploitations en vidéo à la demande.

Aux Pays-Bas, depuis 2015, la Loi sur le droit d’auteur prévoit un droit à une rémunération équitable et proportionnelle qui ne peut être exercé que collectivement, pour toutes les formes de communication au public d’œuvres audiovisuelles, à l’exception de l’exploitation en vidéo à la demande. En avril 2022, une consultation publique a été lancée sur une révision de la loi pour couvrir également la vidéo à la demande.

La Société des Auteurs Audiovisuels et ses membres, les sociétés de gestion collective, appellent activement les derniers pays de l’UE qui n’ont pas encore transposé la Directive à saisir cette occasion historique d’adapter leur législation aux besoins des autrices et des auteurs audiovisuels. La meilleure façon de mettre en œuvre la Directive est d’introduire dans le droit national des droits à rémunération incessibles et inaliénables, en gestion collective obligatoire. C’est le moyen le plus sûr pour les autrices et les auteurs audiovisuels de percevoir des droits d’auteur pour l’exploitation de leurs œuvres sur tous les médias. Les sociétés de gestion collective sont en place pour garantir la mise en œuvre, la perception et la répartition efficace des droits d’auteur, au bénéfice de la diversité culturelle européenne.

Evangelos Chatzoulis,

Conseiller juridique, Société des Auteurs Audiovisuels


[1] Pays-Bas, Hongrie, France, Allemagne, Malte, Croatie, Espagne, Italie, Irlande, Estonie, Autriche, Slovaquie, Roumanie, Lituanie, Luxembourg, Belgique, Chypre, Slovénie, Grèce, Suède et République tchèque.


Cet article a été écrit en janvier 2023 pour SSA, membre suisse de la SAA, et a été publié dans Le Journal de la SSA (no 132, 2023).